MA LECTURE DU DISCOURS DU PRESIDENT MACKY SALL

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Que retenir du discours du Président Macky Sall marquant la célébration du 57ème anniversaire de l’accession à l’indépendance de notre pays ?

Qu’il y a une constance réaffirmée marquant la volonté clairement exprimée du Président Macky Sall d’arriver à la concrétisation de sa vision d’un Sénégal émergent, un objectif pour lequel il dit avoir « assigné au gouvernement la tâche de rester mobilisé dans l’action, en ayant comme code de conduite le culte du résultat » et son but ultime serait d’arriver à un «  développement solidaire et inclusif » d’autant plus que cette « quête de l’émergence », il l’a engagée avec nous et compte l’atteindre avec nous en conséquence.

L’un des maitres-mots du discours du Président Macky Sall sera ainsi le terme « action », que ce soit « l’action diligente avec le peuple sénégalais », que le « temps de l’action assigné au gouvernement. Son devoir qu’il nous a solennellement rappelé est « de répondre aux aspirations légitimes de tous à une vie meilleure ».

Nous en sommes à la manifestation ou disons plutôt la réaffirmation forte d’un objectif général de mandat. Concrètement, le peuple sénégalais aurait bien voulu que le Président évoque par quels leviers il compte booster l’action, son action, et celle de son gouvernement, pour arriver à donner corps à sa vision si éloquemment exprimée.

Car la conception que certains sénégalais ont jusqu’à présent du développement solidaire et inclusif, c’est qu’inclusion et solidarité signifient s’appauvrir, renoncer à un mieux vivre pour permettre à l’Etat, dans le cadre d’une redistribution des richesses que ceux qui ont cette ambition légitime produisent, de tirer les groupes défavorisés vers le haut. Comment, par exemple avec la distribution des bourses familiales. Et pendant ce temps, le train de vie de l’Etat augmente de manière galopante.

Mieux vivre signifie pour beaucoup de sénégalais davantage de justice et d’équité sociale. Et dans ce contexte, les sénégalais ne demandent pas que l’on déshabille Samba pour habiller Demba, mais que les richesses nationales tirées de l’exploitation de nos ressources naturelles et minières soient équitablement redistribuées, et que le régime, par un système de partage démocratique en fasse profiter toute la nation. Dans un tel contexte, il est donc certes utile d’avoir comme thème « le rôle des Forces de défense et de sécurité dans la protection de l’environnement », mais l’Etat au sommet devrait lui-même commencer par encadrer davantage l’exploitation de notre sous sol, du zircon à l’or de Sabodola où la contestation enfle et risque d’être un foyer de tension permanente d’où pourrait partir une vague de contestation qui fera tache d’huile.

C’est donc dire que l’affirmation selon laquelle « c’est en effet dans la bonne gestion des affaires  publiques que nous pourrons mieux dépenser nos ressources, financer nos efforts d’émergence, satisfaire les besoins sociaux de nos populations, offrir à notre secteur privé les meilleures conditions d’épanouissement, et ouvrir à notre jeunesse de nouvelles perspectives d’éducation, de formation et d’emploi » gagnerait à être illustrée par des arguments factuels qui démontrent clairement que «  La politique de bonne gouvernance à tous les échelons de l’Etat et de ses démembrements » n’est pas un vœu pieux.

Pour ce, la meilleure preuve aurait été d’éclairer l’opinion, dans ce contexte marquée par une reddition des comptes que certains qualifient de ciblée, sur la suite qui est d’ores et déjà réservée aux dossiers en instance dénonçant des faits de détournements et de prévarication de nos deniers publics.

La preuve par l’exemple aurait pu convaincre davantage les sénégalais.

Du moment qu’un discours n’est pas le lieu peut être d’entrer dans tous les détails, il n’en convient pas moins de l’illustrer par des données de nature à conforter les vœux clairement exprimés, pour au moins les crédibiliser, et leur permettre de résister à la confrontation avec les faits.

Les actes pour l’émergence du Sénégal posés depuis cinq ans auraient dû servir de trame au discours du Président Macky Sall, qui aurait dû être une tribune du haut de laquelle il aura montré de manière ramassée certes mais démonstrative, ses performances économiques, la pertinence de sa politique sociale, et les formidables perspectives vers lesquelles il conduit notre pays.

Oui ! Après cinq ans, cette exaltation d’un Sénégal marchant résolument vers l’émergence aurait pu mobiliser les sénégalais autour de lui pour la suite, et donner plus de sens à sa « main [tendue] à tous et à toutes, pour travailler ensemble, dans l’unité et la cohésion nationales ».

Pour ce, il eut fallu d’ores et déjà démontrer la synergie d’action entre l’Etat, et certains de ses démembrements, légitimés par la force du suffrage universel, portes d’entrée des politiques publiques, et qui aujourd’hui n’existent que de nom : les collectivités locales. Le premier échelon de collaboration entre l’Etat et son peuple est les collectivités locales. L’Acte III est en panne. Les populations ont perdu l’enthousiasme de leurs débuts et regardent l’Etat qui usurpe leurs compétences qu’il leur a pourtant transférées débouler sur leurs territoires pour leur réaliser les infrastructures qu’il a décrétées comme étant celles dont ils ont besoin pour émerger.

Appeler à travailler ensemble dans l’unité et la cohésion nationales suppose associer tout le monde, à commencer par les élus, mobiliser les populations en privilégiant le dialogue pour recueillir leurs attentes, les impliquer dans la réalisation des infrastructures dédiées, et permettre par là leur appropriation. C’est pourquoi j’ai bien aimé le concept de double planification que théorisait Me Wade en son temps.

Le Sénégal est certes un pays à construire, suivant la vision de son Excellence Macky Sall, mais cette vision ne sera réalisée que si les populations se l’approprient, et que les actes politiques, juridiques et de toutes autres natures que le régime pose cadrent parfaitement avec leurs attentes et les espérances fortes qu’elles nourrissent, et qui justifient le choix qu’elles avaient porté sur le Président Macky Sall !

C’est cela qui peut mobiliser le peuple. Et libérer son génie créateur.

Un génie créateur auquel le Président rend hommage à travers « tous les hommes et femmes de culture qui, par leur génie créateur, contribuent au rayonnement de notre pays, à l’image de nos brillantes performances » !

Et voilà l’ellipse : aucune performance n’a été mise en exergue, en douze minutes de discours. C’est en cela que ne pas habiller un discours aussi solennel de faits en restant dans les généralités dithyrambiques est problématique !

C’est cela que l’on appelle ouvrir la porte aux supputations, car « quand la mémoire va chercher du bois mort, elle rapporte le fagot qui lui plait ». Ne pas mettre en exergue la pertinence de sa vision à travers des résultats dont le succès depuis cinq ans augure de lendemains meilleurs, tout en décrivant son action comme performante, c’est inviter malgré soi à une introspection à l’aune des faits et des événements récents qui pourrait déboucher sur une opinion contraire à celle que le Président se fait de son action, et engendrer une démobilisation des citoyens sénégalais et un renforcement d’un ressentiment que l’on présente comme de plus en plus généralisé.

Serait-ce dire que le Président a raté son rendez-vous avec son peuple ? En tout cas, nous nous attendions à mieux, comme discours, après la célébration des cinq ans du régime !

Retenons toutefois que l’important dans ce discours à notre sens, aura été la main tendue à tous les sénégalais.

Et surtout, la réaffirmation du sens de l’indépendance : « l’indépendance signifie et magnifie notre  vocation naturelle à être et rester un peuple libre. En même temps, elle crée la responsabilité qui nous met seuls face à notre destin.  Notre liberté est entre nos mains. C’est par nos propres efforts que nous la conforterons, en gagnant la bataille du développement économique et social. »

Cela augure t-il d’une reprise en main de notre secteur économique, un renforcement de notre indépendance énergétique, et une lutte accrue pour notre indépendance alimentaire ? Cela signifie t-il plus de justice, plus qu’équité, plus de gouvernance sobre et vertueuse, plus de reddition des comptes ? Cela est –il synonyme d’une meilleure redistribution des produits de l’exploitation de nos ressources pour un meilleur accès à l’Education, à la Santé, à l’emploi ?

L’avenir nous le dira.

Cissé Kane NDAO

Président A.DE.R